A la recherche d’un étang perdu…


Point de départ

Dans son édition du 18 mai 1939,  le «Courrier de Châteaubriant » signale l’erreur commise par le  guide touristique  de l’A.C.O  qui vante  l’étang de la Villatte qui n’existe plus  depuis la dernière guerre, ici en l’occurrence la guerre de 1914-1918

Courrier de Châteaubriant le 18 mai 1939

 

Situation et existence attestées :

L’étang  est représenté sur les cartes depuis celle de Cassini jusqu’à une carte de la voirie de Nozay en 1909. Une photographie de la fin 19° début 20°  nous montre un pêcheur au bord de l’étang. Il n’est plus représenté sur les cartes de voirie de Nozay en 1932 et à fortiori sur les cartes «IGN» de 1955.

Carte de Cassini

 

Extrait du plan cadastral de Nozay 1820 (AM de Nozay)

 

Carte d’État-major de  1820-1860 (Géoportail)

 

Carte du service de  voirie de Nozay en  1906 (AM de Nozay)

 

1906

 

Étang de la Villatte fin 19°, début 20° (Source AD 44)

 

Carte de la voirie de Nozay 1932: l’étang n’est pas représenté

 

     

 

Présentation de l’étang de la Villatte (1794-1913)

1794

 

 Au moment de la Révolution Française, cet étang qui appartenait   à Louis Joseph Bourbon dit Condé  est vendu en raison de l’émigration de son propriétaire comme domaine national ainsi que le moulin à eau de la Villatte, le moulin à eau de Batz et le moulin à vent des Grés.

 

Une description en est faite le 29 juin 1794 (11 messidor an 2) par M. Villeneuve, agent national président du Comité  d’agriculture  et des arts pour le dessèchement et ensemencement des étangs. Dans son rapport  au district de Blain, il  décrit cet étang comme un endroit où l’air «méphitique» est responsable de la mort de neuf personnes en six semaines (devenues  six ans dans la suite du rapport), où en hiver les débordements de cet étang  dans les prairies voisines occasionnent la perte d’un revenu  évalué à six cents livres annuels pour les propriétaires riverains. Pour lui, le pays est triste, de nature lugubre,  plein de carrières,  et des  terres sans habitation. Il se désole de cette fièvre putride comme celle qui sévit en Sologne ou dans la Bresse.

 

M. Villeneuve estime que ces «trois étangs» doivent être «desséchés» et précise qu’un groupe de négociants de Nantes désirerait acheter ces trois étangs  et y construire des usines d’armement, des forges etc.

 

Ce projet ne verra pas le jour et l’ensemble des moulins et l’étang sera vendu  par adjudication le  12  janvier 1798  (23 nivôse an 6) à MM Fabré et Lenoble. Il est noté que l’étang  est  dégarni de poissons.

 

1815

 

La consultation du  premier cadastre de Nozay précise le numéro de parcelle de l’étang  (A 586) ainsi que sa superficie d’environ une trentaine d’hectares. Le moulin à eau de  la Villatte  est situé au sud de l’étang là où ressort le ruisseau de La Villatte. Le propriétaire en est M. Pelloutier.

 

Matrice cadastrale 1820 (AD 44)

 

Le 10 décembre 1816, un bail de six ans  est signé entre M. Pelloutier et  M. René Claude, farinier et son épouse Marie Barbé (notaire Claude Coppale à Nozay, AD 44  ).Plusieurs points sont précisés  et entre autre:

 

La pêche dans l’étang

 

M. Pelloutier porte un intérêt manifeste à la pêche et est très soucieux de la qualité de son  poisson. Il accepte le travail du lin mais gare à ne pas contaminer l’eau de l’étang.

 

Extraits (orthographe corrigé)

 

« Savoir est la pêche du poisson de l’étang de la Villatte pendant ledit temps de six ans avec filets, [], bossèles et paniers sans pouvoir se servir et faire usage de la [] ou autres engins de []

 

Les preneurs se conformeront aux ordonnances des Eaux, Bois et Forêts et en conséquence, il est convenu que toutes carpes dites feuille de châtaignier, tanche, feuille de saule qui forment l’empoissonnement primitif de l’étang ne seront point pêchées et seront laissées dans l’étang.

Monsieur Pelloutier laisse à leur disposition pendant la durée du présent bail, un canot et deux toues avec leurs agrès et apparaux1, deux seines 2 en bon état, grande et petite basses3, louve et paniers à prendre les anguilles à la bonde fondrière……».

 

Le bailleur aura le droit de pécher pour son usage personnel  et s’il y en a trop, le surplus de poissons sera   donné aux fermiers.

 

Le vidage de l’étang: les preneurs pourront écouler l’étang à la fin de leur bail aux frais de M. Pelloutier. Ils se partageront le produit du dit écoulement.

 

La mise  du lin à rouir: Elle se fera à partir d’un endroit déterminé jusqu’à la chaussée, cela pour éviter des pierres dans l’étang qui gêneraient la pêche au filet et pour ce qui est le plus important ne pas nuire au poisson qui meurt à l’eau  imprégnée des substances  du lin. Les preneurs veilleront à ce que dans le dit étang, il ne soit mis ni laissé d’aucunes pierres ni bois qui puissent gêner la pêche et endommager les filets.

 

1835

 

Un problème de voisinage

 

Extrait du courrier de M. Rieffel à M. Aubert le 30 juillet à propos de baignade non autorisée dans l’étang.

« Votre lettre m’a surpris autant qu’affligé. Je vous avoue que j’ignorais tout à fait vous apporter le moindre préjudice. Depuis cinq ans que j’habite votre voisinage, tous les étés mes hommes et mes chevaux allaient se baigner à l’étang de la Villatte et ceux qui m’ont précédé  m’ont dit avoir agi de même de tem(p) s  immémorial.

 

Vous ne m’aviez jamais fait la moindre observation. Quant aux laveuses, je vous avoue en toute franchise que je n’ai appris que depuis quinze jours où elles allaient laver le linge et ce, à propos d’une promenade que voulut faire ma femme. Ne désirant avoir avec tous mes voisins que les meilleurs rapports de bon voisinage qu’il me sera possible, vous pouvez être assuré que je vais donner des ordres conformément à votre lettre. Je ne saurais toutefois vous dissimuler qu’il me sera bien difficile d’empêcher mes domestiques d’aller se baigner à l’étang, vous ne pouvez ignorer que bien des habitants de Nozay y viennent dans le même but. Du moins il n’y aura [rien] de ma faute.»(AD 35)

 

1843 

 

Point de vue de M. Leblaye, notaire à Nozay

 

L’étang est-il libre d’accès ? Pêche, baignades et lavage du linge autorisé ? Braconnage?

 

1884

 

Auguste Aubert (case 624 vue 12)

 

Jusqu’aux années 1880,  la superficie  de l’étang reste sensiblement la même. En 1884, elle diminuera d’environ   50 ares  avec l’aménagement de la ligne de chemin de fer si on se fie à la case de M. Aubert ou 10.34 ares la même année pour cession à la voie publique.

 

   10 a  34 ca  sont pris par l’administration des chemins de fer sur l’étang.

 

1913

 

Extrait de la case de Joseph Claude fils Jounel exploitant de moulin à la Villatte (folio 205  vue 107)

 

 Extrait des matrices des propriétés non bâties 1913-1968  année 1913 (vue 4)

La superficie des mares de la commune de Nozay est de moins d’un hectare. La matrice cadastrale de M. Claude indique  vingt hectares de landes ou marais et de huit hectares de terres.

 

L’étang n’existe plus en tant que tel. Il a été asséché, une partie (8 ha)  transformée progressivement  en terres agricoles, le reste landes et marais (20 ha).

 

A noter que deux autres étangs ont aussi été asséchés mais cela au début du 19e siècle: l’étang Neuf et l’étang de Batz transformés en pépinière, oseraie, pré ou pâture. Ils étaient aussi propriétés de M. Pelloutier.

 

1 : Apparaux ou Aparaux, s. m. pl. (Marine.) Ce mot signifie les voiles, les manœuvres, les vergues, les poulies, les ancres, les câbles, le gouvernail, & l’artillerie du vaisseau 

2 : Seine : Filet de pêche

3 : Basse : Sorte de seau en bois, qu'on attache sur le bât du cheval

       

Texte de M. Jean-Yves Passalacqua le 5 juin 2020