Pendant la Révolution, quatre moulins furent vendus comme biens nationaux : Le moulin à eau de la Villatte, le moulin à vent des Grés, le moulin à eau de Batz et le moulin à vent du Clairet. Le travail qui suit s’intéresse en particulier à la façon dont les ventes ont été réalisées et combien de temps les acheteurs ont conservé ces moulins.
1) Le moulin à eau de la Villatte, le moulin à vent des Grés et le moulin à eau de Batz.
1798
Le prince Louis Joseph Bourbon Condé ayant été inscrit sur la liste des émigrés, ses biens sont confisqués et vendus comme biens nationaux. Ils le sont après expertise le 23 nivôse an 6 (12 janvier 1798).et évalués à 12082 francs:
Le moulin de la Villatte est estimé (revenu annuel multiplié par 18) à 4702 francs, celui des Grés à 3 240 francs et le dernier à 4140 francs,
M. Fabré, officier de santé résidant à Nantes, achète pour lui et M. Lenoble le lot des trois moulins aux enchères (mise à prix initiale: 9061.50 francs) qui atteignent après 18 chandelles d’enchères la somme de 40 500 francs, somme qu’il règle au moyen de deux bons de rescription au 1/3 consolidé et un troisième au 2/3 et ceci en moins de trois mois. (Source: AD 44)
Date du règlement | Moyen de règlement | Valeur nominale en francs | Valeur réelle en francs (arrondi) |
5 floréal an 6 (24 avril 1798) |
Rescription au 1/3 consolidé 4300 | 4300 |
677 |
Rescription au 1/3 consolidé 230.75 |
230.75 |
37 |
|
4 germinal an 6 (24 mars 1798) | Rescription de 2/3 : 143000 | 35969 | 791 |
Total | 4530.75 | 1505 |
Ici se place la difficulté d’apprécier le gain réel réalisé par l’acheteur. On ignore comment il a acquis les bons de rescription qui lui ont servi à régler cet achat et qui semblent être au porteur.
Ces rescriptions ont subi comme les assignats et les mandats, une dévaluation extrêmement importante en étant mises sur le marché comme moyen de règlement.
En se servant du «tableau du cours des effets publics du 6 fructidor an III jusqu’au 1er avril 1814» et des exemples fournis par M. Marion dans son livre sur la vente des biens nationaux, le prix réel de cette vente serait de 1505 francs soit au plus 12 % de la valeur des trois moulins.
1804
Le 13 fructidor an 12 (31 août 1804), M. Lenoble revend à M. Ulric Auguste Pelloutier, la moitié du moulin à eau de la Villatte, celle du moulin des Grés, celle du moulin de Batz ainsi que la moitié de la métairie de la Ville-au-Chef.
Le montant de cette vente est de 4500 francs payables en deux fois en espèces métalliques à dix et douze mois et intérêt de cinq pour cent.
1809
Le 10 juin 1809, M. Fabré revend la deuxième moitié des éléments cités ci-dessus pour 7 500 francs payés le jour même en espèces métalliques à M. Ulric Auguste Pelloutier.
Il faut inclure dans cette vente la métairie de la Ville au chef que M. Ulric Auguste Pelloutier achète aussi.
Cette dernière, estimée à 8655 francs, a été aussi vendue comme bien national à M. Fabré et M. Lenoble pour une somme théorique de 111 300 francs (en vérité 3048 francs soit à peine trente-cinq pour cent de sa valeur). M. Fabré utilise le même système des bons de rescription pour régler cet achat.
Pour un achat des trois moulins et de la métairie en 1798 de 4553 francs; une revente pour une somme de 12 000 francs onze ans après.
2) Le moulin à vent du Clairet
Au moment de la Révolution, Mme Poulpiquet et la demoiselle Houet étaient propriétaires en indivision du moulin à vent de Clairet. Deux couples de meuniers, Jean de la Porte et Louise Vinouse, Gabriel Brégé et Marie Vinouse, le tenaient à ferme pour une durée de 7 ans commencée à la St Jean Baptiste 1787 et se terminant en juin 1794. Le bail établi le 9 décembre 1786 prévoyait une redevance de 200 livres dont la moitié à la veuve Poulpiquet payable à Noël et à la St Jean.
Mme Poulpiquet ayant été inscrite sur la liste des émigrés en 1792, ses biens sont confisqués et vendus comme biens nationaux. Le moulin est estimé par l’administration en capital à la somme de 2520 francs soit 1260 francs pour la part revenant à Mme Poulpiquet. Ce n’est donc que la moitié du moulin qui est vendu.
1796
Ce bien est vendu le 6 vendémiaire an 5 (27/09/1796) à M. François Paul Marie Rose Aubry, sous-lieutenant au premier bataillon d’infanterie légère de Nantes, en poste à Dinan, représenté par le citoyen Joseph Étienne Grimard, rentier demeurant à Nozay.
M. Aubry règle du 15 juillet 1796 au 29 décembre 1797, soit en un an et demi, la somme de 1260 francs, quatre fois par mandat, deux fois en numéraire et trois fois par obligation.
Le premier versement de 1000 francs est pris pour une valeur de 945 francs alors que tenant compte de l’inflation, il ne vaut que 70 francs (Collection des tableaux de la dépréciation du papier-monnaie publié en juin 1797). C’est là où se réalise son principal bénéfice. Les autres mandats sont pris à leur véritable valeur. Ce moulin a été vendu à moins de 30% de sa valeur : 384 francs .Certaines questions ne sont pas résolues: comment M. Aubry s’est-il procuré ces mandats et obligations et à combien les a-t-il achetés. Il est à supposer que son gain est en réalité plus important. La valeur réelle des obligations n’est pas encore résolue. (Source : AD 44)
Date du règlement | Valeur nominale | Valeur réelle arrondie |
27 messidor an 4 (15 juillet 1796) |
1000 (mandat) | 70 (7%) |
11 thermidor an 4 (29 juillet 1796) |
500 (mandat) | 14 (2.85%) |
9 vendémiaire an 5 ( 30 septembre 1796) |
700 (mandat) | 35 (5%) |
29 frimaire an 5 (19 décembre 1796) |
200 (mandat) | 5 (2.55%) |
29 frimaire an 5 (19 décembre 1796) |
54 (numéraire) | 54 |
19 ventôse an 5 (19 mars 1797) |
50.13 (numéraire) | 50 |
9 messidor an 5 (27 juin 1797) |
52.50 (obligation) | 52 ? |
9 vendémiaire an 6 (30 septembre 1797) |
52.50 (obligation) | 52 ? |
9 nivôse an 6 (29 décembre 1797) |
52.50 (obligation) | 52 ? |
Total | 2661.63 | 384 |
M. Aubry a été le témoin de mariage de M. Joseph Grimard et Anne Marie Bonne Houët à Nantes section la Montagne Scévola le 2 août 1794 (15 thermidor an 2. M. Aubry est cousin d’Anne Houet. Marie Anne Thérèse Désirée Aubry, la sœur de M. Fabry habite au même endroit que la sœur d’Étienne Grimard.
Il est certain qu’en 1818, M. Grimard signe un bail de neuf ans avec Guillaume Brosseau, farinier demeurant au moulin de Clairet, son fils Louis Brosseau, laboureur et son épouse Jeanne Roiné demeurant au bourg de Nozay. Il faudrait retrouver la façon dont la propriété de ce moulin est arrivé dans les mains de M. Grimard et quels actes ont mis fin à l’indivision à son profit.
Signatures de l'acte de mariage de M. Grimard et Anne Houet
( AM Nantes)
Les lois de l’an 4 (28 ventôse) et celles de l’an 6 (16 brumaire, 9 frimaire, 24 vendémiaire) ont permis cette façon de faire. Il est nécessaire de remettre en contexte ces événements pour comprendre les circonstances qui ont amené ces dérives de la vente des biens nationaux qui auraient dû être faites au bénéfice de l’État.
Texte de M. Jean-Yves Passalacqua le 5 juin 2020